jeudi 3 janvier 2008

Mardi 1er janvier 2008, retenue de St Etienne-Cantales, 9 heures du matin.

J’arrive au débarcadère, Marc est déjà là.

« - Salut, meilleurs vœux et bonne santé. »
Il s’avance et me fait la bise.
« A toi aussi, mon ami. Bonne année, bonne santé et moins d’emmerdements que l’année dernière.
-Pour les ennuis, ça sera pas très difficile d’en avoir moins, j’ai été servi cette année. Bon, tu es prêt ?
-Oui, tu as pensé à prendre le pain ?
-Oui, j’ai même les croissants.
-OK, allez, on charge le bateau et on y va. »

Le nouveau sondeur (merci papa noël) en place, le sac avec le casse croûte à l’abri, quatre cannes chacun et le bateau est chargé.
Je me mets au moteur, Marc nous pousse vers le large et saute dedans, c’est parti !

« -Mes gamins m’ont offert un nouveau gilet flottant pour noël, tu veux l’ancien, Marc ?
-Non, avec le polaire et l’anorak par dessus, ça passera pas.
-Tu parles ! Dis plutôt que tu n’as pas envie de le mettre !
-Y a un peu de ça… Fais moi voir les nouveau spinnerbaits que tu as fait, que je sache lesquels je vais laisser au fond.
-Il sont miraculeux mes spinners, ils ne s’accrochent jamais !
-Ah, tu sais que, dans mes mains, rien ne résiste bien longtemps…
-Ouais, mais tu prends plus de poissons que moi… Enfin, quelquefois… »
Nos rires doivent s’entendre de loin sur le lac.

« -Punaise ! Il fait froid ce matin.
-Le thermomètre extérieur de la voiture me signalait – 3°.
-J’ai bien peur qu’on garde les gants et le bonnet tout le jour.
-On commence là, sur la pointe ?
-Oui, la dernière fois on a eu deux touches à la verticale. Qu’est ce qu’il dit ton nouveau sondeur ? Tu vois du poisson ?
-Non, pour l’instant je n’en ai pas vu beaucoup… Voilà, c’est là qu’on a eu les touches la semaine dernière, juste sur la cassure à 15 mètres de profondeur. Je mets un plomb sabot de 22 grammes et un shad « fire tiger », et toi ?
-Je vais « texaner » un peu pour commencer, je mets un Finn’s nacré avec une balle nickelée de 20 grammes pour bien gratter le fond. »

Nos deux leurres plongent en même temps et le silence se fait, laissant place à la concentration. Un pêcheur a tendu ses lignes un peu plus loin, à une centaine de mètres, au bord. Ses flotteurs dansent mollement dans la légère brise matinale. Soudain, nous le voyons courir vers sa canne la plus à droite ; en effet, nous ne voyons plus le bouchon, c’est un départ. Nous le regardons du coin de l’œil, il s’agirait pas de louper une touche pour le regarder. Il ferre puis mouline assez rapidement. C’est un brocheton. Il le décroche et le rejette sans ménagement.
« -Il pourrait le remettre à l’eau avec un peu plus de délicatesse…
-Tu as raison, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas très attentionné…»

Une heure passe, seulement troublée par le bruissement des ailes des cormorans qui vont pêcher, eux aussi.

« -Z’ont pas besoin du permis, ces satanées bestioles.
-Non, s’il y en avait moins, ça serait mieux.
-Heureusement qu’ils sont un peu régulés, sinon on n’aurait plus rien ici.
-Ouais, ils en tuent pas assez. Qu’il y en ait, ça me gêne pas mais par moment, il y en a vraiment trop. »

Je vois Marc qui stoppe net ses élucubrations et PAF, ferrage !
« Ah, il y est ! »
Sa canne plie modérément.
« -Alors, qu’est ce c’est ?
Je pense à un petit sandre. »
En effet, au bout de quelques secondes, je le vois apparaître. Pas très gros mais c’est bien un sandre. Marc le saisit et me le présente.
« -Allez, la photo pour le premier de l’année ! »
Je sors ma bourriche à pixel, CLIC CLAC, c’est dans la boîte. Il le décroche et le fait glisser doucement à l’eau.
« -Tu l’as même pas mesuré, lui dis je.
-C’est vrai, j’ai oublié. Bof, il faisait peut être 50 ou 55cm.
-Oui, pas plus ; de toutes façons c’est moi qui prendrais le plus gros, lui dis je avec un sourire.
-Dans 10 ans, peut être… »

A mon tour, touche franche, ferrage immédiat. Le combat dure autant que l’autre… C’est le jumeau de celui de Marc…
Même poisson, même punition. Une photo et, à l’eau !

Nous insistons sur le même poste encore une bonne demi heure mais plus rien ne vient titiller nos leurres.
« Oh, tu as vu l’heure ? »
Je regarde mon téléphone, 12h26.
« Allez, à l’apéro ! »
Marc ouvre sa glacière et en sort une bouteille de champagne et deux verres.
« -On fête la nouvelle année ?
-Et comment ! Fais péter et sers moi, j’ai soif ! »
Le champagne, le saucisson puis le Juliénas accompagnant les andouillettes nous redonnent des couleurs. Nous rions, nous sommes bien, nous n’avons besoin de personne d’autre, juste deux copains qui partagent un casse croûte lors d’une partie de pêche, ça suffit.

Après une tasse de café encore bien au chaud dans le thermos, nous recommençons à pêcher, Nous nous plaçons, à l’aide du sondeur, au dessus d’un éboulis de gros blocs immergés qui nous a déjà rapporté de gros poissons.
Le soleil daigne enfin pointer le bout de son nez à travers une petite trouée dans les nuages ; il fait un peu meilleur.
« -Ne bouge pas, me dit Marc, je m’agenouille au bord du bateau pour pisser. »
Je me tourne face au soleil pour me réchauffer un peu.
Touche ! Je ferre ! PLOUF !
« -Marc ! » Je me tourne, il n’est plus là. Le poisson tire sur ma canne, il est gros.
« -Marc ! » Pas de réponse. Le poisson plie ma canne en deux.
« -Marc ! Où es tu ? Réponds, nom de Dieu !!! Je te vois pas !» Le poisson donne des coups de tête sourds, il essaie de sonder pour aller se plaquer au fond. Je vais à la place de Marc.
« -Merde, où est il ? » Je regarde tout autour du bateau, pas de Marc. Le poisson se décroche, tant mieux. Je quitte la canne, hébété.
« -Marc ! » Pas de réponse. Je commence à réaliser, les larmes me montent aux yeux.
Je m’assied, perdu, hagard, je ne comprends plus, il sait bien nager, pourtant…
Le pêcheur du bord, qui a assisté à la scène, me rejoint avec son bateau. Il tourne, cherche. Rien à faire, mon ami n’est plus là. Il appelle les pompiers.

Trois heures plus tard, un peu avant la tombée de la nuit, les plongeurs retrouvent son corps sans vie. Hydrocution, me dit le médecin ; dans une eau à 3°, rien d’étonnant…
Les gendarmes tentent de me rassurer en me disant que je ne risque pas de poursuites puisque j’avais le gilet et l’équipement nécessaire à bord. Il ne me reste plus qu’à pleurer cet ami et cet instant de bonheur trop fugace. Je le revois encore, refusant ce satané gilet…


Cette histoire est totalement fictive. Comme il est dit dans le générique de certains films, toute ressemblance avec des faits réels…

…Et pourtant, combien d’entre nous prennent un gilet flottant avant de monter dans le bateau ? Peu, sûrement ; trop peu. En hiver ou lorsque les conditions ne sont pas optimales (vent, eau froide,…), j’en mets un. Et vous ?…

3 commentaires:

Steph.H a dit…

Bonjour Joss83.
Le forum de Carnavenir a du bon puisqu'il me mène jusqu'ici.
Je suis séduit par tes textes, parce sous une apparence classique ils cachent des coups de théâtre, des revirements inattendus.
J'ai été cueilli à froid, et je ne le regrette pas.
Du compte-rendu de pêche romancé, ou l'inverse, de ta première sortie à la verticale de l'année jusqu'au récit de science-fiction halieutique familiale...je dis bravo.
Tu devrais faire un tirage de tes textes, et ranger le tout dans la malle de pêche que tu fermeras dans ton grenier, un jour que je te souhaite le plus éloigné possible. Qui sait si ton arrière-petit fils ne le découvrira pas...en 2067.

Pour le récit du Verdon par contre, je sèche : as-tu réellement rencontré cette truite ? As-tu déjà effectivement trempé tes lignes dans le Styx ?

Je n'ai pas encore lu tes poêmes...chaque chose en son temps.

Follet (Corrèze)

Joss83 a dit…

Cette histoire est en fait le condensé de deux journées de pêche dans le Verdon. J'ai réellement tenu cette truite et vu son dos devant moi quand elle regagnait son poste après m'avoir fait vidé la bobine...

Quand au Styx, j'y pêcherai peut être après mon trépas... mais il est vrai qu'un couloir très resserré dans les gorges du Verdon a été nommé ainsi par Martel, quand il a traversé ces gorges pour la première fois. J'y ai pêché plusieurs fois mais n'ai pas eu la chance de piquer un très gros poisson à cet endroit.

En tout cas, merci pour ce commentaire. Quand à ton blog, je l'avais déjà visité (à partir de celui de M. Tarragnat, je crois) et j'avais bien aimé.

Guez / Ro'F a dit…

Salut Joss,
J'aime beaucoup !
Je repasserai pour une bonne séance de lecture quand j'aurai un peu plus de temps ; )
A+
GueZ.