mercredi 19 novembre 2008

Deux

Oh mon amour
Que de chemin parcouru
Que d’obstacles franchis
Que d’embûches dépassées
Malgré tout, malgré nous
Malgré la vie
Tu es toujours là
Je suis encore ici
Est-ce nous ?
Sommes nous d’une autre trempe, d’un autre bois ?
Pour qu’après tout cela
Nous soyons toujours attendris
Encore unis
Après toutes ces années
Les enfants, la vie
Tant de couples désunis
Et nous toujours ici
Pourquoi nous et pas eux
Comment comprendre
Quelle en est l’explication
Dix fois au moins
Nous aurions pu nous séparer
Nous désunir, divorcer
Qui ne la pas voulu
La vie ou nous ?
Vingt ans de vie commune
Cinq ans de félicité
Quinze ans de galère
La vie ne nous a pas laissé le temps de souffler
Mais la faucheuse ne nous a pas séparé
Va comprendre, Charles
Quand tant d’autres trépassent
Continuerons nous ainsi jusqu’au bout
Quelle sera la fin
Qui en décidera, qui restera ?
Sans doute toi
Et puis, quand toi aussi tu partiras
Je serais encore là, là haut
Pour t’accueillir, te féliciter
Apaiser ta peur de l’inconnu
Jusqu’au bout
Jusqu’à la fin
Eternellement
Immortellement
Perpétuellement
Impérissablement dans l’infini…

15 novembre 2008

jeudi 3 janvier 2008

Mardi 1er janvier 2008, retenue de St Etienne-Cantales, 9 heures du matin.

J’arrive au débarcadère, Marc est déjà là.

« - Salut, meilleurs vœux et bonne santé. »
Il s’avance et me fait la bise.
« A toi aussi, mon ami. Bonne année, bonne santé et moins d’emmerdements que l’année dernière.
-Pour les ennuis, ça sera pas très difficile d’en avoir moins, j’ai été servi cette année. Bon, tu es prêt ?
-Oui, tu as pensé à prendre le pain ?
-Oui, j’ai même les croissants.
-OK, allez, on charge le bateau et on y va. »

Le nouveau sondeur (merci papa noël) en place, le sac avec le casse croûte à l’abri, quatre cannes chacun et le bateau est chargé.
Je me mets au moteur, Marc nous pousse vers le large et saute dedans, c’est parti !

« -Mes gamins m’ont offert un nouveau gilet flottant pour noël, tu veux l’ancien, Marc ?
-Non, avec le polaire et l’anorak par dessus, ça passera pas.
-Tu parles ! Dis plutôt que tu n’as pas envie de le mettre !
-Y a un peu de ça… Fais moi voir les nouveau spinnerbaits que tu as fait, que je sache lesquels je vais laisser au fond.
-Il sont miraculeux mes spinners, ils ne s’accrochent jamais !
-Ah, tu sais que, dans mes mains, rien ne résiste bien longtemps…
-Ouais, mais tu prends plus de poissons que moi… Enfin, quelquefois… »
Nos rires doivent s’entendre de loin sur le lac.

« -Punaise ! Il fait froid ce matin.
-Le thermomètre extérieur de la voiture me signalait – 3°.
-J’ai bien peur qu’on garde les gants et le bonnet tout le jour.
-On commence là, sur la pointe ?
-Oui, la dernière fois on a eu deux touches à la verticale. Qu’est ce qu’il dit ton nouveau sondeur ? Tu vois du poisson ?
-Non, pour l’instant je n’en ai pas vu beaucoup… Voilà, c’est là qu’on a eu les touches la semaine dernière, juste sur la cassure à 15 mètres de profondeur. Je mets un plomb sabot de 22 grammes et un shad « fire tiger », et toi ?
-Je vais « texaner » un peu pour commencer, je mets un Finn’s nacré avec une balle nickelée de 20 grammes pour bien gratter le fond. »

Nos deux leurres plongent en même temps et le silence se fait, laissant place à la concentration. Un pêcheur a tendu ses lignes un peu plus loin, à une centaine de mètres, au bord. Ses flotteurs dansent mollement dans la légère brise matinale. Soudain, nous le voyons courir vers sa canne la plus à droite ; en effet, nous ne voyons plus le bouchon, c’est un départ. Nous le regardons du coin de l’œil, il s’agirait pas de louper une touche pour le regarder. Il ferre puis mouline assez rapidement. C’est un brocheton. Il le décroche et le rejette sans ménagement.
« -Il pourrait le remettre à l’eau avec un peu plus de délicatesse…
-Tu as raison, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas très attentionné…»

Une heure passe, seulement troublée par le bruissement des ailes des cormorans qui vont pêcher, eux aussi.

« -Z’ont pas besoin du permis, ces satanées bestioles.
-Non, s’il y en avait moins, ça serait mieux.
-Heureusement qu’ils sont un peu régulés, sinon on n’aurait plus rien ici.
-Ouais, ils en tuent pas assez. Qu’il y en ait, ça me gêne pas mais par moment, il y en a vraiment trop. »

Je vois Marc qui stoppe net ses élucubrations et PAF, ferrage !
« Ah, il y est ! »
Sa canne plie modérément.
« -Alors, qu’est ce c’est ?
Je pense à un petit sandre. »
En effet, au bout de quelques secondes, je le vois apparaître. Pas très gros mais c’est bien un sandre. Marc le saisit et me le présente.
« -Allez, la photo pour le premier de l’année ! »
Je sors ma bourriche à pixel, CLIC CLAC, c’est dans la boîte. Il le décroche et le fait glisser doucement à l’eau.
« -Tu l’as même pas mesuré, lui dis je.
-C’est vrai, j’ai oublié. Bof, il faisait peut être 50 ou 55cm.
-Oui, pas plus ; de toutes façons c’est moi qui prendrais le plus gros, lui dis je avec un sourire.
-Dans 10 ans, peut être… »

A mon tour, touche franche, ferrage immédiat. Le combat dure autant que l’autre… C’est le jumeau de celui de Marc…
Même poisson, même punition. Une photo et, à l’eau !

Nous insistons sur le même poste encore une bonne demi heure mais plus rien ne vient titiller nos leurres.
« Oh, tu as vu l’heure ? »
Je regarde mon téléphone, 12h26.
« Allez, à l’apéro ! »
Marc ouvre sa glacière et en sort une bouteille de champagne et deux verres.
« -On fête la nouvelle année ?
-Et comment ! Fais péter et sers moi, j’ai soif ! »
Le champagne, le saucisson puis le Juliénas accompagnant les andouillettes nous redonnent des couleurs. Nous rions, nous sommes bien, nous n’avons besoin de personne d’autre, juste deux copains qui partagent un casse croûte lors d’une partie de pêche, ça suffit.

Après une tasse de café encore bien au chaud dans le thermos, nous recommençons à pêcher, Nous nous plaçons, à l’aide du sondeur, au dessus d’un éboulis de gros blocs immergés qui nous a déjà rapporté de gros poissons.
Le soleil daigne enfin pointer le bout de son nez à travers une petite trouée dans les nuages ; il fait un peu meilleur.
« -Ne bouge pas, me dit Marc, je m’agenouille au bord du bateau pour pisser. »
Je me tourne face au soleil pour me réchauffer un peu.
Touche ! Je ferre ! PLOUF !
« -Marc ! » Je me tourne, il n’est plus là. Le poisson tire sur ma canne, il est gros.
« -Marc ! » Pas de réponse. Le poisson plie ma canne en deux.
« -Marc ! Où es tu ? Réponds, nom de Dieu !!! Je te vois pas !» Le poisson donne des coups de tête sourds, il essaie de sonder pour aller se plaquer au fond. Je vais à la place de Marc.
« -Merde, où est il ? » Je regarde tout autour du bateau, pas de Marc. Le poisson se décroche, tant mieux. Je quitte la canne, hébété.
« -Marc ! » Pas de réponse. Je commence à réaliser, les larmes me montent aux yeux.
Je m’assied, perdu, hagard, je ne comprends plus, il sait bien nager, pourtant…
Le pêcheur du bord, qui a assisté à la scène, me rejoint avec son bateau. Il tourne, cherche. Rien à faire, mon ami n’est plus là. Il appelle les pompiers.

Trois heures plus tard, un peu avant la tombée de la nuit, les plongeurs retrouvent son corps sans vie. Hydrocution, me dit le médecin ; dans une eau à 3°, rien d’étonnant…
Les gendarmes tentent de me rassurer en me disant que je ne risque pas de poursuites puisque j’avais le gilet et l’équipement nécessaire à bord. Il ne me reste plus qu’à pleurer cet ami et cet instant de bonheur trop fugace. Je le revois encore, refusant ce satané gilet…


Cette histoire est totalement fictive. Comme il est dit dans le générique de certains films, toute ressemblance avec des faits réels…

…Et pourtant, combien d’entre nous prennent un gilet flottant avant de monter dans le bateau ? Peu, sûrement ; trop peu. En hiver ou lorsque les conditions ne sont pas optimales (vent, eau froide,…), j’en mets un. Et vous ?…

samedi 15 septembre 2007

La princesse des silures

Fin août 2067, environs d’Arles.

« -Bonjour mémé.
-Bonjour Etienne, tu as bien dormi ?
-Oui, c’est calme ici mais c’est le chant des oiseaux, dehors, qui m’a réveillé.
-C’est vrai que chez maman c’est plutôt les bruits de la rue…
-Que veux tu faire aujourd’hui ? Retournes tu voir le petit voisin ?
-Je ne sais pas… Il m’énerve un peu. Il me parle tout le temps de son père qui fait des compétitions, à la pêche, et qui attrape des gros poissons. »
Sabrina sourit.
« -Ah bon, des gros poissons comment ?
-Gros comme ça, fit Etienne en écartant les bras. Il m’a montré des films sur son lecteur de poche.
-Tu sais, ce n’est pas très compliqué d’en attraper. Même moi, avant de partir faire mes études, j’allais à la pêche avec mon papa et j’en attrapais des plus gros que ça.
-C’est vrai ? Tu sais pêcher ? Tu en as déjà attrapé ? »
Des souvenirs d’une enfance heureuse affluaient. Papa, les innombrables silures, les promenades en bateau sur le Rhône, la Saône,… Le regard de Sabrina s’embua.
« -Allez, soit sage, bois ton lait pendant qu’il est chaud, ensuite tu t’habilleras et nous irons faire les courses au village.
-Oui mémé. »


« -Ca y est, tu prêt ?
-Oui, j’arrive !
-Dépêche toi, nous y allons à pieds.
-A pieds ???!!!!
-Oui cela nous mettra en appétit, il n’y a qu’un kilomètre quand même…
-PPPFFF…
-A ton age, tu peux parcourir cette distance sans t’épuiser, quand même… C’est bientôt ton anniversaire d’ailleurs, non ?
-Oui, j’aurait douze ans dans un mois et demi.»

Chemin faisant, elle lui expliqua les fleurs des champs, les anciennes cultures du riz en Camargue, lui fit sentir les herbes aromatiques qui poussaient au bord du chemin, lui montra les oiseaux qui allaient bientôt migrer. Il eut l’impression que la distance s’était raccourcie ; ils entraient dans le village.
« Tu vois, on est déjà arrivés. Ce n’était pas si long que ça.
Oui ce n’est pas très long, finalement, un kilomètre… »

A la supérette, le pain était encore chaud. Elle prit quelques conserves, un peu de viande pour le repas de midi et vit Etienne, un peu plus loin, à côté du rayon « jouets ». S’approchant, elle vit qu’il regardait la seule et unique canne à pêche… Elle était bien modeste à côté de celles que Sabrina avait connues… Bien sûr, celle-ci était en matériaux composites modernes, l’antique carbone n’étant plus utilisé depuis trente ou quarante ans, le moulinet fonctionnait sur mini batterie,… mais quand même, elle aurait fait pâle figure à côté du matériel de son père.

« -Mémé, on peut l’acheter ? Je voudrais essayer de pêcher dans le Rhône, au bas du jardin.
-Non, ce n’est pas la peine. A la maison, on montera faire un tour dans le grenier, je suis sûre qu’on trouvera de quoi aller à la pêche…
-Tu as des cannes ?
-Il doit m’en rester quelques unes que j’avais gardé quand j’ais vendu la maison de ton arrière grand père pour venir m’installer ici. »

Le retour s’avéra plus rapide, Etienne courrait presque, se voyant déjà au bord du fleuve, en train d’ébahir sa grand-mère par la taille des poissons gigantesques qu’il allait forcément attraper…
A peine eut elle quitté son cabas, Etienne la pressa :
« -Elle est où la canne ?
-Attends moi ici, je vais t’en chercher une au grenier. Reste ici, ce doit être plein de toiles d’araignée. »
Au bout de quelques instants elle revint, tenant à la main la canne tant désirée et une boîte.
« Tiens, celle là mon papa l’aimait bien. Dans la boîte il y a des leurres pour accrocher au bout. Je vais te mettre un émerillon à agrafe, ainsi tu pourras changer plus facilement. Tu sais bien nager, je crois ?
-Oh oui, j’ai mon diplôme de natation sur 50 mètres !
-Bon, mais soit prudent quand même. Tu restes au bas du jardin, que je te voie de la fenêtre.
-Oui mémé, promis. »
Il regarda le matériel.
« -Shimano…Stella…Connais pas… Comment ça marche ces moulinets ?
A peine lui avait elle expliqué le fonctionnement de tout l’attirail qu’il sortit en courant, pressé de prendre au moins la moitié des poissons du grand fleuve.

Au bout d’un quart d’heure, il rentrait, la mine déconfite.
« -Ca mordait pas trop et d’un coup, j’ai laissé coulé, comme tu m’as dit, mais quand j’ai tiré, c’était dur. J’ai tiré, tiré mais le fil a cassé… Je crois que j’en avais un gros.
-Je crois surtout que tu avais un gros caillou, au fond, dit elle en souriant. Allez, à table maintenant, le repas est prêt. »

Les tomates du jardin fraîchement cueillies et la grillade vite avalée lui redonnèrent confiance.

« -Dis, mémé, je peux y retourner cet après midi ? »
Elle le regarda en silence puis eut un sourire plein de tendresse.
« -On va monter au grenier, j’ai vu d’autres cannes, on ira ensemble tout à l’heure.
-Tu sais pêcher ?
-Un peu… Mon père m’emmenait avec lui. Certains de ses clients m’avaient surnommée « Princesse des silures ».
-Une princesse ? C’est quoi les silures ?
-Ce sont les plus gros poissons qu’on trouve en France. Depuis que tous les poissons ne sont plus bons à manger à cause de la pollution, les pêcheurs ont déserté les rivières et les rares qui ont persisté ne pêchent plus que dans les plans d’eau privés ; ainsi, ils sont sûr de prendre du poisson. Dans les eaux naturelles, ou ce qu’il en reste, c’était moins facile… Bon, aide moi à ranger et on y va. »

Sitôt dit, sitôt fait. La table rangée, les voilà montant vers la quête du Graal, le matériel de pêche.

Elle ouvrit la porte, révélant ainsi un capharnaüm. Se trouvaient là des vieux meubles, des malles et tout un fatras de vieilleries hétéroclites.
« Il faudra vraiment que je fasse du vide un jour, quand tes parents seront là pour m’aider.
-Je ne suis jamais monté ici…
-Le matériel de pêche est là, je l’ai vu ce matin.» Elle ouvrit la porte d’une grande armoire métallique. Là, cinq cannes avec des moulinets, deux boîtes recouvertes de poussière et un petit fourreau.
« -Qu’est qu’il y a là ? » demanda Etienne en désignant l’étui long d’une cinquantaine de centimètres.
« -Ce doit être les cloncks, je ne savait même pas qu’il y en avait. »
Elle défit la petite sangle et étala le contenu. Quatre objets allongés avec une poignée d’un côté et une tête ronde de l’autre. Deux était en bois, les autres en matière synthétique, peut être du carbone.
« -A quoi ça sert ?
-A faire du bruit pour attirer les silures, tu verras quand on sera dans le bateau.
-Le bateau ?
-On va prendre la barque en carbone renforcée qui traîne derrière l’abri de jardin. Je vais vérifier mais elle doit être encore bonne. On utilisera le vieux moteur électrique avec batterie polymère que ton père avait acheté il y a longtemps. Le temps de chercher des vers dans le jardin, je vais lui mettre un coup de charge flash. »

Une fois descendus, ils firent l’inventaire : Deux des moulinets semblaient grippés ; sur l’un des trois autres, la tresse, pourtant solide à l’époque, cassait à la moindre tirée. Les deux derniers semblaient encore en bon état ainsi que les bizarres cannes.
« -Mais on ne peut pas les utiliser, les cannes, elles n’ont pas d’anneaux.
-Mais oui, ce sont des cannes à fil intérieur, ne te fais pas soucis, tout va bien. On va pouvoir y aller. Regarde, les plombs sont là et les hameçons ne sont même pas rouillés.»

Le temps de ramasser quelques dizaines de vers dans le potager et la barque glissait doucement sur la berge pour rejoindre une eau qu’elle n’avait pas revue depuis des lustres…

« -Attends ! J’ai oublié les gants.
-Mais il ne fait pas froid !?...
-Non mais si un silure prend la ligne un peu fort, tu risques de te couper.
- … C’est quoi cette pêche, mémé ?
- Un peu de patience, tu verras… »

Ca y est, la barque glisse en silence sur le fleuve en étiage.
« -Si je me rappelle bien, vers ici il y avait une jolie fosse. Voilà, nous y sommes, le courant nous portera au dessus en douceur et, surtout, en silence. »

Elle prépare la canne, glissant le fil à l’intérieur, refaisant le nœud de Palomar qu’elle n’avait plus fait depuis près cinquante ans, monte un plomb de 150 grammes et enfile deux gros lombrics sur chaque branche de l’hameçon triple.

« -Voilà, c’est prêt. Tu laisse couler le montage jusqu’au fond puis tu le remontes d’un mètre et tu le dandines doucement, tu verras. Mais d’abord, mets les gants pour protéger tes petits doigts. »

L’enfant suit à lettre les instructions de sa grand-mère. Elle prend alors un de ces bâtons courbés qui étaient avec l’attirail de pêche et se met à frapper la surface, produisant un claquement sourd mais intense.

« -Attention, ça ne devrait pas tarder, cela doit faire très longtemps que les silures n’ont plus entendu ça…
-Qu’est que ce qui ne tardera pas ?
-La touche…
-Tu cr….
D’un coup, le bras d’Etienne est tiré en arrière, le déséquilibrant presque.
-Ferre ! Tire un coup sec ! Je prends la canne ! »
Elle rattrape vite le mou dans la ligne et prend contact avec le poisson.
« Ca va, il n’est pas trop gros. Prends la canne. »

Le jeune garçon s’empare de la gaule et s’arc-boute pour tirer ce monstre qui le secoue. Il grimace, combat comme s’il était au corps à corps. La canne plie, il n’arrive presque pas à tourner la manivelle. Deux fois, le moulinet libère du fil puis le silure monte enfin. Sabrina se penche et, devant son petit fils éberlué, mets la main dans l’immense gueule et le prend fermement par la mâchoire pour le soulever et le tirer dans la barque. Il s’assied, pantois, tremblant encore d’avoir tiré ce poisson géant et, surtout, d’avoir vu sa grand-mère le prendre comme ça, aussi simplement que si elle prenait le manche d’une casserole.

« -Tu es folle, c’est un monstre ! Tu n’as pas mal aux doigts ?
-Non, c’est ainsi que nous prenions les silures avec Papa. Allez, mesurons le puis nous le remettrons à l’eau après une vidéo et quelques photographies…. Un mètre vingt cinq, ce n’est pas un monstre mais c’est bien pour un premier. Donne moi ton lecteur multimédia que je filme… Voilà, tiens le bien dans les bras. Souris ! C’est ton premier silure ! Voilà, vas y, fais le glisser doucement à l’eau… Tu es content ?
-Oh oui ! J’en tremble encore.
Bon, alors on continue », dit elle avec un sourire en coin.

Deux autres silures plus tard, Etienne commençait à avoir mal aux bras, aussi Sabrina décida-t-elle de rentrer. Le soir s’approchait doucement en cette fin d’été. Le temps du retour, elle se revit, elle jeune fille, son père là, à côté, souriant après la capture de beaux poissons, ses yeux clairs rayonnants de bonheur dans le soleil couchant…

« -On est bientôt arrivés ? J’ai un peu faim…
-Oui, la maison est juste après ce virage. »


Après le repas du soir, Etienne tombait de fatigue.
« -Dis moi, c’est ton papa qui t’as appris comment pêcher les silures ?
-Oui mais maintenant, il faut aller se coucher. Demain je te parlerai de ton arrière grand père et je te raconterai un peu sa vie… »

dimanche 1 juillet 2007

Frotte, frotte

Frotte, frotte le parquet
Nettoie, essuie le sol
Sur les étagères range les paquets
Dans le rayon lessives ou alcool

Obéis aux ordres du chef, du directeur
Dis bonjour, sois poli
Courbe l’échine, baisse la tête
La couleur de ta peau te rend moins joli

Mais le soir, seul chez toi
Quand tu prends ta vieille guitare
Tu deviens un roi
Serais tu un prophète, un ambassadeur ?

Quand tu chantes le blues
Qui vit au fond de toi
Autour tout devient flou
Tu brilles comme une étoile
Tu tutoies les dieux
Tu communiques avec les cieux

Prends ton instrument
Fais nous connaître, reconnaître
Ce don, cette énergie qui ne ment
Et qui fera de toi un maître

Chante, joue sur ta guitare
Transmets nous cette lumière
Comme une folie, un nectar
Laisse sortir toute cette colère

Quand tu chantes le blues
Qui vit au fond de toi
Tu tutoies les dieux
Autour, tout devient flou
Tu brilles comme une étoile
Et communique avec les cieux

De grâce, je te supplie
Continue, continue encore
Je te demande de ne pas arrêter
Laisse moi encore communier


01 juillet 2007

A toi

Mille raisons n’y suffiraient pas
Cent hommes ne pourraient me forcer
L’ouragan ne me contraindra pas
Je ne veux, pas plus que Noé, m’incliner

Je n’ai pas la clé
Plus de proportion
Je ne veux plus crier, ne plus chanter
Mais est ce la solution

Mais ce soir, pour vous
Je veux me rappeler
Me souvenir de toi, de nous
Afin de ne pas t’oublier, t’effacer

Alors crions, chantons
Tous, le monde entier
Il faut vivre, crier
Pour enfin savoir s’aimer

Ne plus chercher midi à quatorze heures
Oublier les ennuis, les désaccords
Oublier tous les malheurs
De toutes les façons, tous les jours

Ne plus penser, oublier
Cette satanée infidélité
Qui fait que je n’ai plus la foi
Mais ce soir je ne veux plus chanter que pour toi.


30 juin 2007

jeudi 28 juin 2007

L’accident

C’est lundi, il fait gris et je suis coincé dans un embouteillage sur l’autoroute. Sans doute un accident. Cela fait au moins dix minutes que nous n’avançons plus. Les pompiers et les gendarmes sont passés tout à l’heure sur la bande d’arrêt d’urgence ; depuis, plus rien. Des gens s’impatientent à côté. Que faire ? Rien. J’ai arrêté le moteur. Et si ça m’arrivait, un jour ? J’y suis souvent, sur l’autoroute. Ai je bien vécu ?... En tout cas j’aurai bien pêché.
Mon esprit commence à vagabonder, il me raconte des soirées avec les copains, des poissons fabuleux (au moins le sont-ils dans ma mémoire), des émotions, des impressions, des odeurs et des spectacles naturels que seul le pêcheur peut voir quand, seul au bord de l’eau, il laisse tous ses sens s’éveiller à ce qui l’entoure… Des carpes qui sautent, une libellule multicolore qui se pose sur ma canne, le martin pêcheur qui passe, tel un éclair bleuté, le violet intense d’un iris qui éclot. Une vie qui naît, d’autres qui meurent. C’est la vie, dit-on… Quand on naît, on sait qu’on va mourir, funeste destin… C’est ce qu’on fera du temps qu’on a entre les deux qui fera une différence. Certains travailleront toute leur vie pour être les plus riches, d’autres ne travailleront jamais, ou si peu, sous prétexte que cela les fatigue. Je suis entre les deux, je suis un français moyen, je profite lâchement de mes jours de congés pour ne pas travailler et, souvent, aller à la pêche.

La pêche, ma vie ; elle m’a aidé quand ça n’allait pas, m’a apporté de grandes joies quand ça allait mieux et m’a surtout fait voir, par moments, à quoi ressemblait le bonheur, cette carotte dont on nous parle quelquefois. Oui, je l’ai effleuré du bout des doigts de temps en temps, dans quelques moments de félicité trop rares mais tellement beaux…

N’oublions pas le poisson, René Fallet disait qu’en matière de pêche, l’amour est plus fort que l’amorce. Je crois bien que c’est vrai. J’aime le poisson comme un ami, mon vrai compagnon de pêche. Quelquefois infidèle, volage, lunatique mais si indispensable. D’ailleurs, sans lui je vois mal pourquoi nous irions à la pêche… Bon, c’est vrai aussi que planter un hameçon de 3/0 dans la gueule de son compagnon, ce n’est pas très cool, en tous cas, moi je n’aimerai pas trop… Mais sans cela, comment le rencontrer ? Comment le tutoyer, quelquefois même lui faire un bisou, forcément mouillé, avant de le remettre à l’eau. Quoique, je ne les ai pas tous remis à l’eau… J’en ai tué pas mal… J’ai bien peur que, si Dieu était un poisson, les portes du paradis me restent éternellement closes. Tant pis, j’irai en enfer et là, je pêcherai dans le Styx, est-ce qu’il y a des poissons en bas ?

Hier, je n’ai pas pu aller pêcher. D’autres y étaient sûrement, au bord du Doubs, du Rhône ou du ruisseau de Machin-Chose. Ils ont tous, je suppose, eu du plaisir, simplement à être là ; là où les autres ne sont pas, dans ce monde invisible qui se développe autour de chacun d’entre eux et que les autres, même en regardant avec tous les appareils du monde, ne verront jamais. Ce monde s’appelle imagination, espoir, observation silencieuse du moindre indice, du moindre frémissement du fil ou de la plume ; quelquefois on l’appelle aussi sens de l’eau, mais peu d’entre nous parviennent à ce degré de communion avec la rivière qu’ils arrivent presque à « voir » ce qu’il se passe au dessous.

Je me souviens des aubes… Que l’on soit en bateau sur un lac ou à pied le long d’un torrent, l’aube est toujours un moment particulier. C’est un parfum et une luminosité indéfinissable et incompréhensible pour ceux qui ne l’ont pas vécu au moins une fois. La nature qui s’éveille, un hibou qui rentre dans la grotte là haut et se couche, les chevreuils qui sortent de leur cache nocturne et qui broutent tant que les hommes ne sont pas là… Et les poissons. Certains étaient déjà actifs avant que j’arrive mais j’espère qu’ils m’ont un peu attendu quand même. Je lance ma cuillère, m’applique à la faire passer à côté de cette vieille souche qui me semble creuse dessous. Rien. Peut être là, juste en amont, il me semble qu’il y a une cache sous la berge. Tac ! Ca y est, j’en ai une ! Elle essaie de fuir dans le courant mais elle est trop petite. Je la ramène doucement, hop, elle s’est décrochée. Tant mieux, elle sera peu blessée. Je continue ma progression. Je suis au bord de Cabanac, je pêche la carpe. Mon écureuil monte, le détecteur sonne une ou deux fois mais ça ne démarre pas. J’attends, tendu comme un arc… Tout à coup, ma ligne s’emballe, le vieux Carpsounder ne sonne plus, il hurle. Je prends la canne et ferre. Elle y est ! Je monte sur le petit Tabur et commence à rattraper le fil. La carpe se débat au bout, elle doit être jolie, en tous cas elle tire. Dix, quinze kilos, un peu plus ? Je mouline, je la vois enfin dans la lumière tamisée du matin, elle est un peu plus petite que ce que je pensais. Tant pis c’était un plaisir quand même de vous connaître, mademoiselle. Elle est à l’épuisette. Je la décroche et la remets à l’eau. Pas la peine de risquer de la faire souffrir pour une photo. Je suis au bord du Vidourle avec ma canne « casting », j’expédie mon grub avec délicatesse dans la trouée, entre les grands nénuphars. Une ombre. Est-ce un black ? Une carpe ou une tanche ? Rien ne tape sur mon leurre. Je ramène doucement en animant un peu et en faisant des petites poses qui le laissent retomber au fond. Je change, un worm sera peut être plus efficace. Je le renvoie doucement, en freinant la ligne du pouce pour le poser en finesse. Un rayon de soleil commence à pointer qui me permet de le voir couler. Encore une ombre derrière ! C’est un bass, cette fois j’en suis sûr ! Il suit mon leurre dans sa descente puis reste fixé sur lui quand il est au fond. Je le décolle de deux petits coups de scion. Je l’ai ! Le beau poisson monte, fait éclater la surface lisse avec force éclaboussures. Il secoue la tête pour se décrocher de ce ver qui le pique. Je vois un truc tomber à côté. Je reprends contact, plus rien. Il s’est décroché. Tant pis, beau poisson… Le soleil se lève, l’aube est terminée.

Un bruit, c’est un détecteur qui sonne ! Je suis à Sylvereal, un silure tire ma ligne. Je sursaute.
Où suis-je ?... Ah oui, ça y est, l’autoroute, le bouchon… Je me suis endormi, ce qui ne plait pas à ceux qui sont derrière moi, ce sont eux qui klaxonnent ; ceux de devant ont commencé à avancer. Je peux aller vers le bureau ; là bas, sur l’ordinateur, je regarderai les photos des gorges du Verdon pour finir mon rêve…

samedi 16 juin 2007

Petite ballade verdonienne

Me revoilà dans les gorges du Verdon. J’ai laissé derrière moi tous les ennuis, les problèmes. Le travail, la famille qui ne va pas, les agents qui ne veulent rien comprendre, PFFFTTT, envolés.
Je suis seul, l’homme unique, l’archétype de l’être humain, quelquefois si généreux et d’autres fois si con… Mais aujourd’hui, je ne parle pas, je ne pense pas, je pêche.

J’ai mis un pantalon de treillis, mes chaussures de montagne, pris ma canne et mon sac à dos et enfin me voilà, prêt à prendre la truite de ma vie ; ou plutôt à essayer d’en attraper une… Parce que ce que je viens chercher ici, ce ne sont pas de simples poissons, ce sont les reines des eaux douces, les plus grosses, les plus puissantes, les dignes cousines du roi saumon, ce grand migrateur qui parcourt des milliers de kilomètres pour perpétuer son espèce. Ici, et surtout avec les techniques que j’utilise, on ne capture pas de truitelles, seulement des poissons dont la taille moyenne dépasse allègrement les deux kilos ; ici truite rime avec dynamite. Dans ces courants puissants, chaque touche se transforme en coup de fusil dans la canne, le frein du moulinet doit être réglé à la perfection sinon, CLAC, casse assurée.

J’attaque le parcours au dessus de la réserve. A cet endroit, les gorges sont encore évasées, c’est le haut du cirque de Vaumale. Dans deux mois, les touristes se presseront nombreux jusqu’ici ; mais les vraies gorges commencent plus haut, là où les parois se resserrent, là ou le ciel semble se refermer sur moi. En bas, il y avait l’étroit du Galetas mais maintenant le lac a noyé le torrent et on le franchit en pédalo, vous parlez d’une aventure…

Je mets une ablette sur ma Drachko. La dernière fois j’avais plombé à 5 grammes mais le débit du Verdon a augmenté, il faut que j’en mette plus aujourd’hui. Peut être 8 ou 10 ? Je vais essayer 8 au début, ensuite, quand le cours d’eau sera plus étroit et le courant plus puissant, j’augmenterai. Je commence à ratisser derrière les rochers. J’arrive au poste du thermographe, l’an dernier j’en ai pris deux ici, dont une 5 kg dont mes copains se souviennent encore… Nous avions prévu un bivouac pas très loin et je l’ai prise au coup du soir, juste avant l’apéro… Nous avions un peu mal à la tête, le lendemain matin à cinq heures pour attaquer à pêcher…

Je m’applique, lancer au centimètre, dérive au ras du fond. Un éclair blanc sur le côté ! Tap, merde ! Elle est venue mais elle a juste touché, elle n’a pas pris franchement ! Je renvoie, passe et repasse sur le coup, rien à faire, elle ne reviendra plus. Dommage, beau poisson, entre trois et quatre kilos à mon avis, difficile à dire quand même ; je n’ai vu qu’un reflet au moment de l’attaque.

Je vérifie l’état de mes hameçons, il ne faudrait pas continuer à pêcher avec une pointe émoussée. Un petit coup de lime diamant pour le principe mais non, pas de doute, les pointes étaient bonnes.

Je monte doucement en ratissant le moindre bloc, le moindre remous, rien. J’arrive à l’ancienne passerelle de Mayrestre. L’énorme trou en dessous m’a déjà apporté quelques joies… Prudence, soyons précis et attentif… Je lance et relance dans le calme, en bordure du courant puis dans le courant ; rien, tant pis, la prochaine fois peut être. J’arrive dans le premier cayon secondaire. A cet endroit, le surplomb est si important que lorsqu’il pleut, on est à l’abri sous la paroi d’en face. La lumière est atténuée, on dirait que quelqu’un a mis un abat jour sur le soleil.
Là, le courant est puissant, uniforme, trop peut être, j’ai un peu de mal à pêcher correctement. Les parois sont lisses, je suis plusieurs mètres au dessus de la rivière, je décide de passer au dessus pour retrouver un secteur avec des blocs, des remous et des postes un peu plus marqués.

Cela fait déjà plus de deux heures que je pêche et je n’ai eu que cette touchette au thermographe mais je sais que cette pêche est ainsi, rude, difficile, exigeante physiquement et moralement ; peu de touches, un parcours difficile dans d’immenses chaos de rochers. Mais quelle joie, quel bonheur d’être là, seul avec moi-même, avec mon âme, comme seul dans le vide sidéral. Je suis un rocher, un arbre ou une fleur. Je suis un chasseur de trésors à la recherche de la truite mythique qui, dans le Styx, a fait un pacte avec le diable et garde son or.

Merde !!! C’était quoi ce toc, une touche, le fond, un rocher ? Arrête de divaguer et concentre toi !!!! C’est pas possible d’être aussi bête !!! Je renvoie, repasse au même endroit. Toc ! Toc ! Merde, c’était un caillou au fond.
Je contourne un bloc de quelques centaines de tonnes tombé là depuis quelques dizaines de milliers d’années ; heureusement, je n’aimerai pas être là quand un comme celui-ci dégringole…
Mon ablette est abîmée et ne tient quasiment plus sur la monture, je préfère la changer car juste en amont j’en ai touché une jolie la dernière fois… Si elle y était encore… Voilà, c’est prêt. Je reste en retrait, à demi caché derrière l’énorme bloc et envoie mon appât au ras du rocher derrière lequel se tient, forcément, la truite de ma vie. Je prends contact et commence à dériver dans le remous. Mon esprit est accroché là-bas, au bout de cette ligne qui plonge dans l’eau. Mentalement, j’observe l’ablette qui descend mollement, juste animée de quelques soubresauts. Mon fil se décale sur la droite, peut être trente centimètres, je n’ai rien senti. L’espace d’une demi seconde, j’hésite, je ferre, CA Y EST, elle est au bout ! Le poisson tire, part dans le courant, essaye de dévaler, de toutes ses forces, de tout son courage. Il roule, s’enroule et me prend un peu de fil. Je le bride et, bientôt, le ramène un peu dans le remous. C’est bel et bien une grosse truite, j’ai vu l’éclair blanc quand elle s’est tournée. D’ailleurs, si c’était un chevesne, le combat serait déjà terminé… Fais attention au rush ou au saut « de près », tu as déjà décroché de beaux poissons comme ça, me dis je. A peine pensai je cela que la truite saute, s’envole, comme un i majuscule qui s’élève. Je baisse la canne pour laisser du mou le temps qu’elle retombe. Elle secoue la tête en espérant décrocher cette pointe qui la pique et la tire. Rien n’y fait... Elle replonge, je reprends contact. OUF, elle est encore au bout. Un dernier rush en direction d’un rocher, je la contre sans trop de problème et elle vient, abandonne. Je l’amène vers une plage de galet sur ma droite. Ici je peux l’attraper. D’une main ferme je la saisis derrière la tête et la plaque contre moi. Je m’éloigne du bord. Un peu plus de soixante centimètres, elle doit atteindre trois kilos. Je suis heureux. Désolé ma belle mais aujourd’hui je ne pratiquerai pas le No kill. Je la retourne et l’abat sur un rocher devant moi. Elle est morte. Je la décroche. La pêche est un jeu cruel… J’humidifie le grand sac de toile qui me sert à conserver les poissons, y glisse la truite et met le tout dans le sac à dos. Je lève la tête, regarde les parois au dessus de moi et remercie le Verdon de me donner ces joies, ces instants de félicité…

Je suis presque aux Meulards, il va me falloir emprunter le sentier au dessus, dans la colline car je ne peux plus passer au bord. Je plie la canne et remonterai tout quand j’arriverai de nouveau au bord de la rivière.

Après un petit quart d’heure de marche, me revoilà prêt à pêcher. Je ratisse le moindre recoin, tous les courants. Rien, ou presque, une truite de trente ou trente cinq centimètres est venue taper sur mon ablette toute à l’heure, sinon calme plat. Cela fait bientôt cinq heures que je pêche. Dans deux ou trois cent mètres, je serais au bout de mon parcours. Je suis content, j’ai un beau poisson dans le sac.
J’arrive sur un des derniers coups. Un grand rocher barre le Verdon, l’obligeant à se séparer en deux pour le contourner. J’envoie du côté droit. A cet instant, je me dis : « Non c’était à gauche qu’il fallait envoyer. » Tant pis, je ramène mon poisson doucement, rien. Je m’applique pour le lancer. L’ablette tombe deux mètres en amont du gros rocher, du côté gauche. Parfait, je laisse couler, prends contact. Une brusque tirée manque de m’arracher la canne des mains, je réponds instantanément par un ferrage appuyé. Là haut, une queue large comme un battoir frappe la surface à deux reprises ! Elle est énorme ! A peine le temps de réaliser, mon fil me passe devant à toute allure, elle dévale ! Ma canne se plie, le frein hurle. Le moulinet se dévide à toute vitesse. Que faire ? Je ne peux pas descendre pour la suivre, un gros rocher m’en empêche, il faudrait que je le contourne à la nage mais avec ce courant j’ai toutes les chances d’être emporté, ce n’est pas possible. Mon moulinet continue à se vider, elle m’a pris au moins cent mètres de fil, je vois le fond de la bobine. Pas d’autre solution, je mets la main sur le côté du moulinet et freine avec la paume, la canne encaisse, plie, plie encore tandis que j’appuie plus fort. Elle va casser… Tout à coup, elle se redresse… Plus rien… Je mouline, je ne sens même plus le poids de la monture… Cassé…
Quel poisson ! Quel poids faisait elle ? Dix kilos, plus peut être… Quel bonheur d’avoir tutoyé pendant quelques dizaines de secondes une truite pareille… Quelle joie et quel souvenir ! Je crois que m’en souviendrai toute ma vie… Extraordinaire !!! Enorme !!!
Je m’assieds, encore abasourdi par la puissance phénoménale de cette truite. Je regarde le Verdon, hébété. Deux ou trois minutes passent ainsi quand soudain, juste devant moi je vois un dos large, puissant, sortir de l’eau... Je n’en reviens pas, c’est elle… A-t-elle conscience que je suis là, est-ce le hasard ?
Elle disparaît, je ne la reverrai jamais, mais quel épisode de ma vie de pêcheur !

Je plie ma canne. Aujourd’hui rien ne vaudra plus que ce dos argenté, là, devant moi, …

Deux heures de marche m’attendent maintenant

La tête pleine de ces images, le retour me semblera plus court que d’habitude et quand j’écris ces lignes, vingt ans plus tard, je revois encore ce dos. Savait elle que j’étais là, à regarder le Verdon ? A-t-elle compris que j’ai tenté de prendre sa vie ? Je me pose encore ces questions et je n’aurai jamais les réponses…